"Nénette et Rintintin, fétiches anti-Ghotas"
"Nénette et Rintintin, fétiches anti-Ghotas"
"Nénette et Rintintin, fétiches anti-Ghotas"
Quelques faits & dates en guise de préambule.
1913 Poulbot commercialise des poupées de porcelaine, dont Nénette et Rintintin
1915 Poulbot recueille des gosses de Montmartre.
1916 : Premiers raids Londres par les nouveaux bombardiers biplans Gothas, bombardement sur Paris par les Zeppelins.
Invention des ballons captifs (saucisses de Caquot) anti-Ghotas
1917 : Les bombardements aériens s'intensifient. Poulbot offre ses Nénette et Rintintin, désormais en simples brins laine, aux gosses de Montmartre
Premiers articles dans la presse sur les bombardements
"Les fétiches anti-gothas" font l'objet de nombreux articles dans la presse (La Baïonnette, J'ai vu, Nénette et Rintintin chez Devambez.).
1919 Publication par Poulbot "Encore des gosses et l'histoire de Nénette et Rintintin", recueil de ses dessins des années 1917/1918 .
La véritable histoire de Nénette et Rintintin.
Nénette et Rintintin vont être un phénomène à la mode à partir de 1917 et rester présents dans l'imaginaire collectif pendant des années.
Leur histoire est ce que l'on appelle aujourd'hui une "success story". Ce couple de fantoches fait partie de l'imaginaire populaire et nationaliste de la première Guerre mondiale et pourrait être classée sans difficulté dans l'histoire naturelle des bons sentiments et de la propagande. Dans ces périodes d'angoisse mascottes, porte-bonheur, gri-gri, fétiches fleurissent un peu partout comme par génération spontanée.
Mais, de fait, la large diffusion et l'incroyable "succès" de Nénette et Rintintin semble d'une nature un peu différente ils font le "buzz" à partir de 1917. Leur réussite semble coïncider avec la chute du moral des français face à une guerre qui dure et surtout à "l'avènement" d'une nouvelle angoisse due aux bombardements aériens et terrestres (Gothas et la grosse Bertha) des grandes villes, et spécialement ceux des capitales. Avec ces bombardements, la guerre devient encore plus terrible, encore plus contagieuse, les populations civiles ne sont plus en sécurité, la différence entre l'arrière et le front s'estompe.
Ces machines géantes ne distinguent rien, elles frappent à l'aveugle et menacent plus que jamais toute la société et ses symboles. Dans la presse, on colporte, sans distinction là aussi, les victoires héroïques des as de l'aviation et les miracles de technologies de la défense urbaine. Mais ces journaux portent en eux leurs propres contradictions : ils magnifient les ripostes extraordinaires, par exemple les premières batteries anti-aériennes de nuit, et dans les pages suivantes présentent les formes molles et dérisoires des "saucisses de Caquot" et finissent par recommander de se mettre à l’abri dans les caves et stations de métro et d'attendre.
Face à cette morosité ambiante, Nénette et Rintintin amusent et rassurent d'abord les enfants, puis finalement un peu tout le monde, avec toutefois une certaine ambivalence. Ce qui compte en 1917 c'est que ces joujoux soient bon pour le moral même s'ils sont dérisoires, minuscules, vilains mais ils restent unis et patriotes, symbole de l'union de l'arrière et du front. Cependant ils transgressent certaines valeurs de l'air du temps : ludique et non martial, artisanal et non industriel, magique plus que catholique. Par leur aspect enfantin et un peu effrayant ils assument leur statue de fétiches, en ligne direct avec les gri-gri africains, avec les katchina ou avec les talismans, dont ils ont les vertus protectrices, à la simple condition d'être offerts. Ils sont anti conventionnels, ils pourraient presque faire peur s'ils ne se jouaient des codes. Ainsi ils semblent être des "simulacres de fétiches" qui dansent avec une légèreté incantatoire contre les calamités de l'époque.